) notre voie de la prière. Une société ne meurt pas. Les civilisations ne sont pas mortelles ; elles se métamorphosent. L'histoire s'inscrit dans une géographie. Il est en elle un noyau dur qui permet son renouvellement en syncrèse avec d'autres croyances comme le Christianisme. Une dynamique souterraine les sous-tend. Dans l'action, il faut hausser la barre et résolument avancer, malgré la brume, vers la lumière qui tremble, au loin, très au loin. C'est la raison pour laquelle je suis un des fondateurs de l'Académie Polaire d'Etat à Saint Pétersbourg où 600 fils de bergers, de chasseurs, d'éleveurs, tchouktches, nenetses, evenks, esquimaux, sont formés pour être les administrateurs, les préfets, sous-préfets de la Sibérie du Nord de demain. En 2003, une "Deuxième expédition russo-française en Tchoukotka", partira à bord du brise-glace "Akademik Fedorov", sous le patronage des présidents de la Fédération de Russie et de la République française. J'ai l'honneur de diriger le groupe de scientifiques français qui rassemblera 12 groupes de chercheurs de pointe. A bord, se trouveront une quinzaine de diplômés autochtones nord-sibériens et cette université nomade, enfin, connaîtra un dialogue fraternel qui a trop tardé et, j'en suis sûr, fécond entre savants occidentaux et autochtones nord-sibériens.
Résister, c'est bien ; agir en inventant, c'est mieux. J'ai toujours considéré que la vie d'ethnologue, de sociologue, de géographe ne pouvait qu'être accompagnée par des actions raisonnées. L'engagement est nécessaire devant de tels drames que connaissent tous ces peuples dont on est l'hôte et qui sont face au malheur. Le post-colonial a toujours été sous le signe d'un certain cynisme et l'expression d'un bricolage. Il n'est pas de pire racisme que culturel. L'Académie polaire a été créée précisément à Saint Pétersbourg en 1991, au retour de la "Première expédition russo-française en Tchoukotka", pour inventer une nouvelle pédagogie, permettant aux jeunes élites de s'affirmer et de faire face à l'avenir. L'ONU a décidé de consacrer en 1995 la décennie à la défense des peuples autochtones de la planète. Voilà une sage décision qui devrait convaincre l'opinion mondiale et les gouvernements responsables qu'à l'égard des minorités ethniques, la tolérance de l'autre ne suffit plus.
Propos recueillis par Michel Daubert
relus et corrigés (questions comprises) par Jean Malaurie