ordiecole.com : les violons du roi

Les violons du roi (1992), livre de Jean Diwo



Voici l'avis de solangejazz sur ce livre (texte trouvé ici sur ciao.fr) :

Stradivarius le Maître

Même si ce n'est forcément la littérature que j'aime lire habituellement,
je ne saurais assez recommander "Les Violons du Roi" de Jean Diwo,
paru il y a une dizaine d'années chez Denoël,
réédité ensuite chez Gallimard (collection Folio, ISBN : 2070385116)

D'aucuns pourront dire que le style de l'auteur n'est pas très original
ou encore que le genre choisi, à savoir le roman historique, est quelque peu galvaudé.
Cela est en partie vrai : on est bien loin des biographies historiques de Stefan Zweig...

Mais l'intérêt de cet ouvrage est autre.
Son sujet d'abord : retracer la longue vie d'Antonio Stradivarius (1644-1737),
le plus célèbre des luthiers, car le premier ayant créé un violon dont les caractéristiques
sont aujourd'hui encore reconnues comme fondamentales en lutherie.

Mais l'histoire d'Antonio Stradivarius, c'est encore bien plus que çà !

Il est à la lutherie ce que Boulle est à l'ébénisterie :
un visionnaire, qui malgré des connaissances initiales fort rudimentaires, est parvenu,
à force de patience, à faire d'une simple caisse de résonnance
un instrument d'une perfection acoustique incomparable.

Tout le mérite de Jean Diwo est d'avoir mené une enquête extrêmement sérieuse sur un homme,
dont il n'y a pas si longtemps encore on ne connaissait pas l'année de naissance.

Ceux qui s'intéressent à la lutherie et aux instruments du quatuor, à savoir le violon,
l'alto et le violoncelle, ne seront pas trompés à la lecture de cet ouvrage qui, sans pédantisme,
explique le plus simplement du monde le vocabulaire d'usage de la lutherie.

Vous comprendrez ainsi la fonction de l'âme, pièce dérisoire en apparence mais sans laquelle
un violon ne peut être joué (coucou à Violame au passage!), l'importance des bois choisis
dans la confection de l'instrument, la façon dont un vernis doit être appliqué ou encore
comment un violon peut traverser des siècles sans prendre une ride...

Mais au-delà de la documentation très fouillée qu'a effectuée l'auteur -
il s'est d'ailleurs fait aider dans ses recherches par le grand luthier Claude Lebet -
Jean Diwo s'est appliqué à rendre vivante l'histoire de celui que tout le monde s'accorde à considérer
comme le père de la lutherie.

Et la vie de Stradivarius est à la hauteur de son génie.

Certes, certains épisodes relatés ont parfois tendance à tomber dans le sentimentalisme…
Par exemple, son aventure à Venise avec la belle Valeria, qui n'est pas moins que la fille
du célèbre astronome Cassini. Si les deux jeunes gens ont eu peut-être l'occasion de se rencontrer
à Crémone, il est plus que douteux qu'ils aient consommé leur amour...mais qu'importe,
le passage est joli, romantique et très agréable à lire.

Jean Diwo, dès qu'il en a l'occasion, aime à se laisser aller dans des digressions un peu "eau de rose",
mais suffisamment courtes pour ne pas ennuyer son lecteur.

Mais revenons à Antonio Stradivarius, de son vrai nom Stradivari.
Issu d'une famille on ne peut plus modeste, le génie de ce luthier s'est très vite affirmé
sous l'autorité de Niccolo Amati, troisième du nom. Pendant plusieurs années,
le jeune Antonio sera "goret" (terme argotique désignant en lutherie un apprenti).

Jour après jour, il "va faire dans le copeau", observer son maître et même certains des ses apprentis
plus âgés, Stainer et Guarneri entre autres. En bref quasiment la crème de la lutherie mondiale de l'époque!.

Tout luthier doit posséder deux qualités fondamentales : avoir une "vraie" oreille musicale
et un sens inné du geste manuel. A ces qualités, le jeune Antonio en avait une autre, bien plus rare
et que peut-être seulement cinq luthiers sur la Place de Paris ont aujourd'hui, à savoir
le sens de l'anticipation.

Il ne s'agit pas seulement de concevoir un instrument selon les règles immuables, transmises de génération
en génération, il s'agit de comprendre comment à partir d'un bois choisi on arrivera à donner une "destinée"
à son instrument.

Au passage, que les violonistes à la recherche de quelques luthiers français d'exception encore en activité
n'hésitent pas à me contacter! Car ce n'est pas une fois fini que le violon trouve toute sa plénitude.

Comme pour tout bon vin de garde, le temps doit sans cesse avoir prise sur lui et en même temps l'épargner
de ses indélicatesses. D'où l'entretien constant de l'instrument.
Epoque bénite que celle de Stradivarius où la clientèle ne venait pas dans une "botega" pour faire rafistoler
son instrument, mais pour passer commande!

J'en profite pour dire qu'aujourd'hui cette démarche est de plus en plus rare.
Quel interprète prendrait-il le risque d'acheter un instrument neuf et étiqueté par la main d'un maître,
alors que pour le même prix il pourrait disposer d'un bon instrument du XIXème siècle et ayant fait ses preuves ?
Seulement, sans commandes, un métier se meurt...

Par ailleurs, le génie de Stradivarius ne fut seulement pas de concevoir des instruments d'exception...
Il avait également, et ce bien avant l'heure, le sens de ce que l'on appelle aujourd'hui le "marketing".

Une fois sa période "amatienne" finie, il eut l'opportunité de se faire connaître auprès des grands du monde
de son époque. Le Pape, la Reine Christine de Suède et bon nombre de têtes couronnées composèrent sa clientèle,
constituant ainsi un vecteur de réclame à travers toutes les cours d'Europe.

Chacun voulait avoir son Stradivarius, les uns parce que mélomanes, les autres simplement parce qu'ils avaient
flairé le bon investissement. Et l'on comprend ces derniers quand on sait qu'un instrument "moyen" du Maître
se négocie aujourd'hui à plusieurs millions d'euros!

Mais la notion de "moyen" existe-t-elle quand on a affaire à un Stradivarius?

Sans vous raconter tous les épisodes romanesques qui ont jalonné la vie de ce grand luthier, ce que Jean Diwo
fait bien mieux que moi (il a aussi plus de temps !), je conseille une attention particulière aux derniers
chapitres de l'ouvrage qui relatent les aventures de Tarisio, l'homme grâce auquel la lutherie française
du XIXème, incarnée notamment par la famille Vuillaume, put rattraper son retard sur la lutherie italienne
car pouvant enfin étudier les instruments signés par le Maître de Crémone.

En somme, voici un roman historique bien écrit, passionnant et sans prétentions que je conseille aussi bien
aux adolescents en manque de vocation qu'aux adultes amateurs d'histoire et de musique.

Avis dédié à Louise...


L'évaluation de l'auteur de ce texte :
Avantages: livre passionnant, très abordable
Inconvénients: aucun !


notre page lutherie
notre page musique
notre page Stradivarius

vous consultez la page http://www.ordiecole.com/music/violons_du_roi.html