Déchirant et d’une richesse inouïe,
un film-somme en forme d’ultime révérence. Bravo
l’artiste.
L’argument : Trente ans se
sont écoulés depuis que Marianne et Johan, le
couple de Scènes de la vie
conjugale se sont perdus de vue. Sentant
confusément que Johan a besoin d’elle, Marianne
décide de rendre visite au vieil homme dans la
maison de campagne où il vit reclus. Entre eux,
la complicité et l’affection sont réelles,
malgré toutes ces années passées sans se voir.
Marianne fait la connaissance du fils de Johan,
Henrik, et de la fille de ce dernier, Karin, qui
habitent dans les environs. Tous deux pleurent
encore Anna, l’épouse d’Henrik disparue...
Notre
avis : Confirmons ce que tout le monde
hurle partout : à 86 ans, Ingmar Bergman a
bel et bien signé un chef-d’œuvre. L’immense
cinéaste suédois nous offre un opus d’une beauté
inouïe qui sonde les angoisses existentielles
d’un vieux couple défait depuis Scènes de vie conjugale et qui se
reforme le temps de ce Saraband, fiévreux et intense,
conclu par le sanglot terrible de Marianne (Liv
Ulmann, égérie du cinéaste) désemparée devant le
puzzle de sa propre vie : des photos qui
n’appartiennent qu’aux souvenirs. Bouleversante
remise en question.
Ne pas se fier à
l’apparente aridité du style : sous forme
de soliloques, de lourds silences ou de lettres,
les personnages confient leurs chagrins, doutes
et peines dans toute leur humanité, leur
détresse, leur manque. En s’adressant à tous les
âges (grosso modo, de 20 à 90 ans), Bergman
plonge dans les abîmes de la complexité humaine
et en tire une admirable autopsie des rapports
humains, aussi tendre (Marianne et Karin) que
cruelle (Johan et Henrik).
Impression
d’avoir raté sa vie, impossibilité de faire le
deuil de la personne aimée, amour suprême pour
un père lui-même haï par son propre père.
Atteignant le haut de la filmographie du
cinéaste (Le septième sceau,
Les fraises sauvages, La source), ce film initialement
tourné pour la télévision dans le but d’être le
plus accessible et populaire convoque la sonate
d’automne et tous ces cris et autres
chuchotements pour faire danser une sarabande
aux fantômes du passé et aux démons intérieurs.
Fragmenté en dix chapitres, ce film-somme (comme
si Bergman tirait définitivement le rideau) se
trouve transcendé par des interprètes au sommet,
une mise en scène rigoureuse et un scénario
d’une richesse infinie. Une sorte d’événement
sacré : tragique, beau, déchirant.